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Pietro Marinoni, l’arbitre italien au cœur du scandale

Par Tristan Pubert
8 minutes

Pietro Marinoni n’était pas qu’un simple arbitre semi-pro en Serie D. En parallèle, le Lombard était un pion essentiel dans l’affaire des « Scommesse », une sorte de passerelle entre les joueurs de Serie A et un réseau mafieux de bookmakers. Entre magouilles sur Telegram, joueurs accros au jeux d’argent et fausses factures en bijouterie milanaise, le football transalpin replonge dans une zone grise où le hors-jeu ne se siffle plus.

Pietro Marinoni, l’arbitre italien au cœur du scandale

C’est certainement la plus grosse affaire qui a bousculé le football italien ces dernières années. Pour les non-initiés, rappel des faits : en octobre 2023, le parquet de Turin (cette affaire sera ensuite transférée au parquet de Milan) annonce avoir mis la main sur un important réseau de paris sportifs illégaux, où certains internationaux italiens seraient directement impliqués. Deux noms ressortent alors : Sandro Tonali et Nicolò Fagioli (Zaniolo sera également auditionné, mais aucune sanction ne sera prononcée à son encontre). Les Azzurri se verront sanctionnés d’une suspension de toute activité sportive respectivement de dix et sept mois.

Si depuis, les deux milieux ont retrouvé les terrains et peu à peu leur meilleur niveau, cette sombre affaire est encore loin d’être totalement élucidée. En effet, de nouvelles informations sont sorties ces derniers jours, remettant encore une pièce dans la machine à sous. Avec les révélations provenant des écoutes téléphoniques et des témoignages (notamment) de Tonali et de Fagioli, les enquêteurs ont ainsi pu se rendre compte de l’étendue de l’affaire, dans laquelle dix autres sportifs seraient impliqués : Alessandro Florenzi, Federico Gatti, Weston McKennie, Raoul Bellanova, Ángel Di María, Samuele Ricci, Mattia Perin, Leandro Paredes, Nicolò Zaniolo et le tennisman Matteo Gigante.

Si pour ces douze suspects, le parquet de Milan doit encore enquêter pour saisir leur niveau d’implication, trois autres personnes sont considérées par les autorités comme les têtes pensantes de ce casino illégal : Tomaso De Giacomo et Patrick Frizzera, les deux bookmakers et un certain Pietro Marinoni, qui aurait joué – selon l’enquête du parquet, relayée par la Repubblica – le rôle d’intermédiaire entre les escrocs et les joueurs de Serie A. Mais alors, comment ce modeste arbitre de Serie D s’est-il retrouvé à plumer des stars du ballon rond, une arnaque dont la somme avoisinerait 1,5 million d’euros selon les autorités.

Camarade de classe de la sœur de Sandro Tonali

Nous sommes le 1er novembre 2022, au parc des sports Dominique-Duvauchelle de Créteil. La Suisse et la France U16 s’affrontent dans ce tournoi international du Val-de-Marne, un match que les Bleuets remportent sans sourciller 5-1. Au sifflet de ce match ? Pietro Marinoni. Pour ce dernier, arbitrer un tournoi international à l’étranger est une première et vient récompenser son ascension, sifflet dans le bec. En 2021, il obtient le CAN D, diplôme lui permettant d’officier jusqu’en Serie D, mais également au niveau national jusqu’à la catégorie U18.

Au début de cette année 2022, il reçoit même les félicitations d’Andrea Boninella, président de l’AIA (Association italienne des arbitres) de Lodi, lors de la finale de la Coupe d’Italie de l’Eccelenza (la Coupe nationale des équipes évoluant au niveau régional), finale qu’il arbitrera : « Nous sommes fiers de voir un jeune arbitre de notre section être au sifflet de cette finale. C’est le résultat de nombreuses heures investies dans les entraînements physiques et mentaux. Pietro a été sélectionné par les 140 sections d’arbitres d’Italie et il a réalisé une superbe prestation aujourd’hui », se réjouit alors Boninella.

Je ne me rends pas compte de l’étendue de l’implication de Marinoni dans cette affaire, mais je sais qu’il a été au centre de tout ça.

Sandro Tonali aux enquêteurs

Originaire de Sant’Angelo Lodigiano, petite ville lombarde de 13 000 âmes située à une cinquantaine de kilomètres de Milan, Piè – comme le surnommait Fagioli – grandit surtout à quelques kilomètres de Lodi, ville d’un certain Sandro Tonali. Hasard de la vie ou destin, Pietro Marinoni est camarade de classe de la sœur aînée de l’actuel joueur de Newcastle. « Il était déjà arbitre à ce moment-là », a révélé le milieu italien aux enquêteurs. Nous sommes alors en 2017, et le jeune Tonali vient tout juste de signer son premier contrat professionnel. En parallèle, le futur chouchou de San Siro tombe dans le vice des jeux d’argent.

Alors qu’il est camarade de classe de Matilde Tonali, Marinoni entre en contact avec le crack de Brescia. Ce dernier souhaite miser de l’argent sur des matchs. Mais comme le stipule l’article 24 du code de justice sportive italien, « il est strictement interdit à tout sujet fédéral de parier, directement ou indirectement par l’intermédiaire de tiers, sur des événements sportifs ». S’opère alors un petit tour de passe-passe : Tonali indique les matchs sur lesquels il souhaite miser à Marinoni, lui transmet l’argent, et ce dernier utilise son compte personnel pour parier sur les plateformes qui sont, à ce moment-là, légales.

Mais l’addiction prend de plus en plus de place dans la vie de Tonali. Titulaire à Brescia, il devient international espoir italien, puis A, attire les convoitises des plus grandes écuries de la Botte et d’Europe et, surtout, voit son salaire augmenter. Aux alentours de 2020, Tonali joue des sommes de plus en plus conséquentes (selon les enquêteurs, le milieu italien aurait été endetté à hauteur de 500 000 euros) et passe alors sur des plateformes illégales, entre casino en ligne et paris sportifs, accessibles uniquement via des liens (comme Worldgame365), toujours avec l’aide de Pietro Marinoni. Ce petit génie des combines ne s’arrête pas là, il entre ensuite en contact avec Fagioli, originaire de Piacenza, à seulement 44 kilomètres de Sant’Angelo Lodigiano. Avec Tonali et Fagioli dans son sac, le jeune arbitre développe peu à peu son réseau, et sa petite affaire prend de l’ampleur. La machine est lancée.

Rouler en Porsche Macan en gagnant 7 000 euros/an : mode d’emploi

« Je suis désolé pour ce que j’ai fait. Je ne me rends pas compte de l’étendue de l’implication de Marinoni dans cette affaire, mais je sais qu’il a été au centre de tout ça. Il m’a toujours assuré qu’il gérait tout dans les règles, mais j’ai vite compris que ce n’était pas le cas. » Dans des auditions faites après des enquêtes en octobre 2023 dont So Foot a pu consulter la retranscription, Tonali lâche le morceau. Pourtant, le nom de l’arbitre italien ne retient pas tout de suite l’attention des enquêteurs, celui-ci continuant même à diriger des rencontres en Serie D et au niveau national en U18. Cette saison, il a été au sifflet de 21 matchs.

Comment a-t-il pu passer sous les radars aussi longtemps ? Première chose, bien que Tonali ait sorti son nom, aucune preuve ne pouvait alors l’inculper, d’autant plus que Fagioli ne l’a pas explicitement cité lors des interrogatoires. Surtout, l’arbitre lombard est rusé. Il utilisait toujours deux téléphones, ce qui inquiétait par ailleurs sa fiancée, Giulia : « Tu me fais trop peur, ça m’inquiète vraiment. Pourquoi sur l’un, il n’y a que Telegram et des faux numéros ? », se plaignait-elle comme le révèlent les écoutes tirées des investigations du parquet de Milan.

En plus des écoutes, les enquêteurs vont comprendre le rôle prépondérant de Pietro Marinoni dans cette affaire en fouillant de plus près sa situation fiscale, constatant alors que son train de vie ne correspondait pas vraiment à ce qu’il déclarait annuellement au fisc italien : en effet, Piè déclarait toucher 7000 euros/an, tout en s’achetant dans le même temps une Porsche Macan (qui était enregistrée au nom de sa grand-mère), des montres et des vêtements de luxe, qu’il exposait fièrement sur Instagram.

Les montres avec lesquelles Pietro Marinoni s’affichait sur les réseaux sociaux
Les montres avec lesquelles Pietro Marinoni s’affichait sur les réseaux sociaux

Pour ce qui est de son rôle, toujours selon les enquêteurs, Marinoni mettait en relation les joueurs italiens et les bookmakers, les conseillait sur comment et quoi parier, s’occupait de réceptionner leurs mises pour ensuite les blanchir avec une bijouterie à Milan, Elysium, en faisant des faux reçus d’achats de montre. Une véritable supercherie qui aurait duré plusieurs années. Parmi ses « clients », le fils Pirlo, Niccolò, alors mineur, qui commence à retirer des sommes importantes. Voyant la supercherie venir, Papa Andrea bloquera le compte de son fils.

Reste tranquille, arbitre bien et tout va bien se passer.

Nicolò Fagioli à Pietro Marinoni, avant le match Auro Pro Patria-Torres que devait arbitrer Marinoni

En août 2022, lors de la première journée de Serie D entre Auro Pro Patria et Torres, Pietro Marinoni est nommé arbitre de la rencontre. Toujours selon les investigations du parquet de Milan, Nicolò Fagioli aurait alors envoyé un message à Marinoni : « Reste tranquille, arbitre bien et tout va bien se passer. » Un message relativement suspect, avaient-ils prévu de truquer la rencontre et/ou de miser dessus ? Coup de chance ou pas, le Torres sera repêché en Serie C quelques jours plus tôt, le match n’aura donc pas eu lieu. C’est à l’été 2023 que l’affaire va commencer à battre de l’aile. Un agent informe alors Nicolò Fagioli qu’une enquête judiciaire est en cours sur leurs magouilles. Dans un groupe Telegram, les esprits s’échauffent entre Fagioli et Marinoni. « Dis-moi ce que tu me veux avec cette histoire de merde, tu me casses les couilles pour rien », aurait lâché l’arbitre lorsque le milieu alors à la Juve lui expose les faits. Ce dernier rétorquera : « C’est de ta faute si c’est la merde Piè, mets-toi ça dans la tête. » 

Face à ces révélations, l’AIA a décidé de suspendre provisoirement l’arbitre pour trois ans, en attente d’éventuelles informations supplémentaires. L’enquête est toujours en cours et de nombreuses zones d’ombre persistent. Parmi celles-ci : est-ce que Pietro Marinoni a entamé une carrière d’arbitre par passion ou pour développer un réseau encore plus important ? La suite au prochain épisode.

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Par Tristan Pubert

Le compte-rendu du parquet de Milan a été rapporté par La Repubblica et d’autres médias italiens. So Foot a pu en consulter une partie, comme indiqué dans l’article.

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